orgueil et préjugés (daria)

Elle filait dans l’espace d’une ivresse contagieuse et traversait à longues enjambées les allées clairsemées de sacs crocodiles, les étalages de montres aux horlogeries les plus fines, les lignées de bijoux scintillants et hors de prix, pour se camper sur les premières marches du perron royal. Les portiers ouvraient l’ascenseurs à l’encadrement d’or et de cuivre et les étages défilaient de nouveau pour arriver au dernier et plus luxueux étage : celui où les chaussures aux talons stratosphériques et les robes de soirées divines prenaient presque plus de place que les discussions qui étaient dites, importantes. En haut du centre commercial le plus réputé de la ville, Sierra faisait une remarquable entrée en profitant des regards estomaqués qui s’attardaient sur son passage. Un sourire délicieux s’afficha sur un visage dont la moue n’avait plus à faire sa réputation et, précieuse et unique, elle prit tout son temps pour glisser le long des tables jusqu’à sélectionner celle qui pourrait disposer de sa présence. Daria, ma chère et tendre, je me languissais de te voir. Qu’elle dit en imitant l’accent de la haute aristocratie et le ton guindé de ceux qui aurait aimé être plus sans jamais atteindre la perfection absolue. Sierra elle, n’avait jamais eu besoin de faire semblant. Elle était incontestablement plus éloignée de l’aristocratie que tous ces hommes et femmes qui se pavanaient une coupe de champagne millésimée à la main et pourtant, personne ne remettait en question son titre, sa couronne, le sceau impérial qu’on lui avait attribué dès son plus jeune âge. Elle dégageait une aura d’incontestable puissance, mystique et indomptable et il était clair que devenir son ennemi, c’était se frotter aux pires fléaux. Sa cour était aussi méprisée qu’elle. Pourtant, elle attisait la convoitise à chaque apparition mais en ce jour, elle décidait d’attribuait toute son éphémère intention à la plus délicate et sensuelle des femmes qu’elle n’avait jusqu’alors rencontrée. Daria, une entité de secrets dans une ravissante courbe de finesse et de complexes. La délicieuse se pavanait avec des grands airs, méprisait la foule autant qu’elle souhaitait vivre à ses côtés. Mais elle n’était pas des leurs et Sierra, le savait pertinemment. Ce qui la rendait encore plus attrayante à ses yeux que toute cette plèbe ruinée aux soirées mondaines et au superficiel décadent. J’espère ne pas t’avoir trop manqué. Qu’elle lui glissait à l’oreille alors qu’elle s’installait à ses côtés et commandait un cocktail rose et hors de prix. Je ne vois pas ton homme. Est-ce qu’il serait restée dans sa piscine de billets verts au lieu de t’accorder toute son attention ? Qu’elle jetait en buvant son élixir de jouvence qui lui ferait sûrement tourner la tête au bout de la troisième gorgée. Peu importe, je suis là à présent, prête à tout te concéder. Qu’elle disait, joueuse, en lui décrochant un regard qui en aurait fait tomber plus d’un à la renverse. Sierra manipulait les uns et les autres avec une facilité déconcertante mais Daria, était tout ce qu’elle aimait le plus. A bien des égards, la duchesse d’orient lui ressemblait infiniment plus que toutes ces filles qui la suivaient pour s’approcher un peu plus du soleil.

elle n'était que traces. chaque nouveau jour, daria naviguait dans le sillage de quelque explorateurs célèbres, incarnée par l'appel d'air que faisaient ceux-ci lorsqu'ils passaient près d'elle. là où elle se rêvait voiture de tête, haut du cortège, proue du navire, elle réalisait souvent qu'elle n'était que machinerie, que roues qui sciaient l'azur des vastes paysages qu'elle avait traversé. en vingt-trois-ans de vie, daria avait écumé sa peine frémissante sur plus de quatre continents, laissant derrière elle des traînées de poudre sur des milliers de kilomètres. il était tellement facile de suivre sa trace à l'odeur qu'elle se réveillait parfois brusquement aux heures floues entre la nuit et le jour, persuadée qu'on venait finalement la chercher. à chaque fois, ses épaules s'affaissaient dans une forme de résignation et de soulagement schizophrène, c'était comme si on venait la retrouver pour finalement la ramener à la maison.

daria savait qu'elle ne reverrait jamais sa maison, ou ce qui en avait constitué une durant des années, quelque part entre la terre et le ciel, là où l'aridité colore l'horizon de rouge et de doré. mais elle ne parvenait à attacher son coeur à rien d'autre qu'à ces odeurs d'épices qu'elle avait encore dans le nez, celles qu'elle pouvait sentir monter de la cuisine qui était si proche et qui, durant les semaines de ramadan, parfumaient la ville entière.

Daria, ma chère et tendre, je me languissais de te voir. coupait-elle court à toute tergiversation, ramenant brusquement daria de son voyage intérieur. indolente, prostrée sur une haute chaise de comptoir, les jambes dénudées et fuselées solidement croisées l'une contre l'autre, daria relevait vers elle un regard longuement travaillé, un parfait mélange de hauteur et de largesses, un regard d'un mépris bienveillant qu'elle réservait aux femmes qu'elles jugeait dignes. dignes de quoi ? d'être comme elle des objets d'un héritage millénaire, des pions dans la grande mécanique de jeu de quelques hommes puissants ?

moi aussi ma chère, soufflait daria dans cet anglais chantant qui était le sien, patchwork de ses apprentissages sur le tard, élément clef de son charme oriental. Je ne vois pas ton homme.Est-ce qu’il serait restée dans sa piscine de billets verts au lieu de t’accorder toute son attention ? une seconde, daria soufflait d'un petit rire bref et torturé dans son bloody mary. elle avait ce cocktail lugubre en adoration, qu'elle épiçait volontiers outre mesure, jusqu'à ce que la brûlure rouge du piment anesthésie jusqu'à son estomac. une autre des piqûres de rappel de son existence passée, savamment déguisée en esthétique gothico-chic. il a bien d'autres chats à fouetter que de savoir quelle paire de louis vuitton je vais encore acheter, surtout, glissait daria sur le ton complice mais pas dupe, prise dans une brève poussée d'ironie, aussitôt dite, aussitôt terminée. elle sentait sierre confiante et tortueuse, parfaitement dans son élément dans cet endroit surplombant les lieux qu'elles avaient déjà exploré ensemble, lors de ces longues après-midi gorgées de soleil où l'ennui toquait bruyamment à leur porte. et toi ? repartiras -tu avec le numéro et les promesses de l'un des rares hommes qui ose encore se promener ici ?

Dans un monde où barbarie rimait avec éthique, Sierra accentuait sa fausse moue modeste d’un haussement de sourcils provocateurs tandis qu’elle pavanait au travers des rangées de tables où bouteilles de champagne hors de prix et cigares s’étiraient dans une panoplie sans conteste, de suprématie et de m’as-tu-vu. L’esprit en ébullition, la belle n’avait pas perdu de sa fougue mais avait rangé l’ossessivité illimitée qui aurait pu la conduire à sa perte, dans une boite qu’elle ne devrait jamais rouvrir sous peine de laisser s’échapper un fléau bien plus grand que ses anciennes actions. Aussi démesurée qu’elle pût l’être, Sierra était également d’une grande rigueur et c’était pourquoi, elle savait parfaitement quand se montrer calme et indulgente et quand hausser le ton pour que les menaces soient explicites sans pour autant, qu’elle n’en devienne d’un vulgaire si approprié à toutes les midinettes qui cherchaient bien souvent, à lui ressembler. Le pouvoir, on ne se battait pas pour l’obtenir. On l’obtenait dès la naissance, aura subtile et lumineuse qui planait au-dessus des têtes des bambins comme une distribution aléatoire du destin. Les femmes qui oeuvraient pour briser afin d’obtenir bien plus, finissaient ridiculement humiliée par leurs consœurs dont la retenue et le charme opéraient bien plus avec de la diplomatie et des règles strictes que par la crainte et la peur. C’était ainsi que Sierra avait fait naître son règne, sans brusquerie, tout en souplesse et en mots subtiles. Daria au loin, détenait une prestance indétrônable. C’était ce charisme énigmatique qui les avait rapprochées. Une première rencontre perchée de la même manière, droites et fières, de la mélancolie dans leurs deux regards mais une seule et même assurance qui ne pouvait être défiée. Il n’avait fallu que quelques secondes pour qu’elles ne deviennent alliées puis amies bien que jamais, elles n’aient eu à employer clairement ses mots pour définir leur relation qui plusieurs heures auparavant, était inexistante. Ce jeu ne m’amuse plus. Je dois redresser les maux de Monsieur Castel. Qu’elle lâchait en buvant une longue rasade de sa Margarita bien que l’envie n’y était pas. De l’eau. Voilà ce qui aurait pu uniquement, laver ses pensées impures et toutes les ambitions qu’elle avait pour la suite de cette nouvelle aventure qu’elle préparait. Dis-moi Daria, toi qui est restée ici tout du long pendant mon absence, j’aimerais savoir si tu as vu Nova Murphy et surtout, si tu as des infos à me donner sur ces derniers mois où je n’étais pas à ses côtés. Autant mettre les choses à plat à l’instant. Sierra n’était pas du genre à tourner autour du pot et ses manigances les plus secrètes, elle se les réservait uniquement à elle-même. Pour le reste, elle parlait de manière à se faire comprendre à l’instant. Le temps était cher, sa mère n’en avait pas vu le bout et il était hors de question qu’elle perdre la moindre seconde. Je veux tout savoir également de ce que j’ai loupé ces derniers mois dans ta vie. Sierra avait toujours détenu une place particulière dans le cœur des rares personnes qui avaient obtenu son approbation et c’est pourquoi, du haut de son 19ème anniversaire, elle se promettait de tout savoir et tout connaître, omniprésente dans les moindres détails car elle avait compris depuis longtemps que la ville était occupée d’un maillage invisible mais bien perceptible et c’était celui-là même, qui l’aidait généralement, dans sa quête de vengeance et de pouvoir…

il planait entre ces deux femmes à peine conscientes un parfum suave de détestation, de vengeance, de rancoeur et quelque chose qui ressemblait même à de la violence. la violence était omniprésente dans l'existence de daria. elle l'avait subie durant le plus clair de son enfance, à travers l'exercice de la séquestration, ou de la prison mentale qu'était de toute façon devenu son propre esprit. elle l'avait subie à l'orée de sa vie de femme, lorsque la fuite en avant l'avait livrée à elle-même, jetée sur les routes ou les voies maritimes, balancée de pays en pays, depuis le maroc jusqu'à l'espagne, depuis l'espagne jusqu'au portugal, depuis le portugal jusqu'au brésil et enfin depuis le brésil jusqu'au canada. elle la subissait encore chaque jour, la violence était devenue sa compagne, et elle la cherchait dans les yeux de ces ombres qui lui adressaient la parole, lorsqu'elle était seule. elle se faisait violence si jamais elle venait à lui manquer.

aussi à ce jeu-là, daria n'était pas la dernière.

elle se doutait cependant que les pupilles mordorées de sierra cachaient un éclat dur, comme une mine planquée sous un beau champ de blé. elle avait les yeux clairs et la mine dorée, comme une miche de pain tout juste sortie du four, quelque chose que l'on a envie de grignoter sur le chemin du retour. elle se plaisait visiblement un peu trop d'être abîmée. ne sachant à quoi s'en tenir, daria jouait le jeu, c'était en quelque sorte le seul moyen de ne pas traverser la vie seule.

le ton s'était durci de l'autre côté, les gestes se firent plus tranchants. la margarita fut bientôt vide, et le verre étincelait sous l'effet des rayons qui capturaient chaque cristaux de sel. elle se donnait l'importance des gens qui n'en ont aucune, et en cela, elle rappelait à daria son propre fiancé. c'était pour elle une manière de raffermir sur sa vie son emprise invisible, d'en assurer la pérennité. les yeux mollement ouverts sur la lumière douce qui filtrait la pièce, c'est pourtant avec les sens aux abois que daria l'écouta. un filtre de plus calé sur la réalité. elle la laissa terminer dans un silence pesant, qui semblait resserrer autour d'elles les murs de la pièce.

je suis désolée, sierra. je n'ai pas vu cette personne. d'ailleurs cela aurait été difficile, car moi aussi j'étais partie le plus clair de ce temps. elle aperçu un oeil surpris derrière la table, une oreille piquée de curiosité qui se tendait vers elle. elle absorba une longue gorgée de son breuvage avant de se lancer. et oui. j'ai passé les derniers mois à sao paulo, auprès des affaires de Dante. un voyage surprise, elle articula avec une amertume étrange dans la voix, comme un parfum de mensonge qui s'assurait une place de choix.

N’importe quelle personne qui n’aurait pas connu Daria aurait été étonnée par l’impression inatteignable qu’elle dégageait. Forte d’un passé trouble et d’expériences vécues qui allaient bien plus loin que la majorité des jeunes de son âge, Daria avait su prendre en main son destin et obtenir un semblant de vie pour détruire les cauchemars qui la tourmenteraient jusqu’à la fin de son existence. Sierra savait reconnaître les âmes persécutées et la rancœur qui pulsaient à plein nez autour d’elle. C’était pour cela qu’elle se moquait bien souvent de toutes celles qui la suivaient à l’université et qui se plaignaient de leur vie alors qu’en réalité, Sierra se disait qu’elles n’avaient jamais affronté de quoi s’intéresser un tant soit peu à leur sort. C’était d’ailleurs avec ce genre de réflexion qu’elle passait pour une personne hautaine et inaccessible mais tous savaient également que l’histoire de Lory Pierce avait nimbé sa vie d’une profonde cicatrice impossible à effacer. Malgré ça, elle s’était toujours montrée bien plus forte et adroite que les filles de bonne famille pour atteindre ses buts et régner en place de choix sur une plèbe insipide. Daria était l’une de ses seules amies. La seconde pour être exacte et ce titre lui donnait une valeur bien singulière. Nova la première, partait dans des limbes inatteignables et préférait faire régner le chaos pour oublier un temps soi peu que sa vie était vue sous tous les angles comme pleine d’ennui. Sierra avait d’abord vu ça comme un triste constat. Puis finalement, elle s’était attardée sur les actions de son amie jusqu’à ce qu’elle comprenne que le problème était bien plus important, une faille qu’elle devait d’abord colmater pour éviter que la jeune femme ne se fasse du mal alors que la vie lui souriait. Daria et Sierra étaient différentes. On leur avait mis sous le nez des malheurs qu’elles ne pouvaient oublier et elles arrivaient pourtant à se jouer adroitement de cette ligne directrice intransigeante. Sierra savait qu’elle aurait besoin d’aide pour redresser Nova mais elle ne savait pas encore ce qu’elle avait manqué dans la vie de Daria. Son regard à elle, s’éternisa sur ses traits puis disparu dans un vague flou qu’elle ne pouvait conquérir. La jeune femme semblait fuir le dialogue et pourtant, elle lui expliqua en quelques lignes les derniers évènements. Sierra eut une moue stupéfaite. La jeune mariée avait-elle décidé d’abandonner son rêve d’indépendance ? Tu veux dire que tu es retournée à ses côtés ? Ne me dis pas qu’il est revenu en ville. A voir les somptueuses perles qui bordaient son cou, Sierra se disait que l’idylle dérangeante que vivait son amie n’avait rien d’illusoire aujourd’hui. Surprise en positif ou as-tu des ennuis ? C’était légion les ennuis autour de ces filles. Comme si elles les attiraient inconsciemment. Ou peut-être adoraient-elles ça depuis toujours…

vers quelles destins amers daria avait-elle choisi de s'orienter, c'était difficile de le jauger. le bout du chemin était encore noir et recouvert de suie et de brouillard, ça cramait sévère au fond de son allée, et daria n'avait aucun moyen en sa possession pour arrêter ce feu de moins en moins timide. elle ne craignait plus véritablement la douleur physique, qui lui passait sur le corps comme un souffle un peu chaud, sur une peau durcie par la pluie et le vent, qui en a vu d'autres, surtout. la douleur psychologique, elle, représentait un défi tout autre car son dosage se faisait instable, et pouvait passer du simple au double en un battement furieux de ses longs cils. elle se découvrait chaque jour de nouvelles failles entre lesquelles passer ses longs doigts fins, pour observer le monde gronder au dehors dans un fracas de poussière et de larmes. mais elle se découvrait également de nouvelles forces, qui poussaient avec l'âge qui vient, qui voilaient son regard d'un élan féroce parfois, lorsqu'elle l'observait s'assoupir près d'elle. un mouvement agile et le bon complice : voilà ce qui pourrait peut-être la délivrer de ce mal. encore faudrait-il pouvoir se réparer ensuite.

elle voit les deux diamants de sierra s'éclairer d'une lueur nouvelle, qui part de l'inquiétude et qui se borde d'un certain paternalisme. étrange, pour cet animal indomptable, cette jeune femme qui, à bien des égards, se joue de l'autorité des hommes et retourne toutes les situations à son avantage. une sorte de preuve matérialisée que l'on peut parfois être son meilleur ami comme son pire ennemi. Tu veux dire que tu es retournée à ses côtés ? Ne me dis pas qu’il est revenu en ville. le ton était abrupt, froid, il semblait ricochet sur les murs épais et molletonnés de l'espace bar, couper la lancinante musique jazzy en plein vol. comme quand, dans une pièce, et ce malgré tous les efforts du monde, tous les regards se tournent tout à coup vers vous lorsque vous osez le moindre mouvement. daria, qui n'était plus à une contradiction près, détestait cette sensation d'attirer vers elle une curiosité affable, une sorte de conditionnement à soutenir et épauler. elle sentit aussitôt son ventre se refermer comme un gouffre, elle scellait tous les accès, repli d'urgence. en surface, rien ne bouge. pas un mouvement de la paupière ne laisse deviner l'état intérieur dans lequel elle plonge, tête la première, embarquement pour la route de l'impossible. avec un geste d'une élégance absurde -mais d'où daria tient-elle ses manières de princesse russe-, elle porte une dernière fois le verre à ses lèvres. un léger goût salé lui nappe la langue. comment ça, retournée à ses côtés ? marque-t-elle d'un léger rictus teinté de mépris. je n'en suis jamais partie. et oui, il est revenu cette-fois ci.

malgré elle, dans la façon dont les derniers mots tombent au sol, soudain tout autour des deux femmes paraît plus froid. les traits doux du serveur se tordent dans des lignes imparfaites, les couleurs semblent faiblir. dans un tremblement à peine perceptible, daria regrette immédiatement d'avoir laissé soupirer les regrets de voir son fiancé de retour, de ne pas avoir appris son décès d'une chute du quarante-troisième étage de sa tour historique. cette pensée l’assaille et lui flagelle le coeur. Surprise en positif ou as-tu des ennuis ?

d'instinct, daria a comme un mouvement de recul. elle reste un petit temps interdite, les yeux qui tracent une diagonale sur le visage soucieux de sierra. que sait-elle de son quotidien fait de noir et de blanc ? que voit-elle derrière les parures et les sorties mondaines ? que peut-on lire dans ses grands yeux d'enfant à peine sortie de sa chrysalide ? quel genre d'ennuis ? laisse échapper, rêche, daria, accrochée de ses deux pupilles noires à une colère sourde qui monte au bord d'elle.

Sierra sentait petit à petit la glaciale froideur de Daria s’abattre sur ses traits. La jeune femme savait qu’elle n’avait aucun droit sur son amie ni même, de venir fourrer son nez dans ses affaires mais c’était plus fort qu’elle. Avant, elle aurait évité toutes discussions sur son mari et même, tout ce qui aurait pu la toucher personnellement car Sierra savait à quel point il était important de garder ses secrets bien enfouis et son intimité, loin, bien loin des regards troubles qui auraient pu s’y pencher pour déceler les démons agrippés tels des sangsues. Mais lorsque Sierra avait posé de nouveau ses bagages sur le sol glacé de trois rivières, elle avait changé drastiquement sa manière d’agir. Tout d’abord, elle s’était rendu compte qu’à force de ne pas faire attention à ses amis, elle les avait laissés au bord d’un précipice et qu’ils y étaient tombés de haut, si haut qu’elle entendait encore les fractures infligées au mental. D’abord, il y avait eu Stanislas pour lequel, elle n’avait eu d’égard que pour sa supériorité et son pouvoir sans même plonger au plus profond de son regard et y déceler ce qu’il y avait de plus important à découvrir. Puis il y avait eu Nova. Là encore, Sierra avait été la pire amie qui soit. Elle ne s’était préoccupée d’elle que pour la voir la servir et devenir son chien de garde attitré pour ne pas se salir les mains. Elle les avait tous deux exploités comme des alliés avant même, de les considérer comme ce qu’ils avaient toujours été et qu’elle avait tout simplement balayé d’une main désinvolte. Petite fille égoïste, Sierra n’avait toujours pensé qu’à elle, ses addictions et ses pires contradictions sans voir que les autres qui l’accompagnaient depuis toujours, avaient terriblement besoin d’elle. Voilà pourquoi aujourd’hui, sa langue se déliait. Elle remarquait que le monde ne se portait pas bien, que derrière les grands sourires de ceux qui l’entouraient, le mal grondait, s’emportait, fascinait puis détruisait. Daria avait toujours été si secrète que Sierra avait apprécié sa compagnie dès les premiers instants. Elle était la seule qui n’avait jamais essayé de l’analyser et encore plus, de la tuer. Rien que ça. Mais aujourd’hui, Daria se retrouvait une énième fois dans l’ombre d’un mari constamment absent et qu’elle préserve sa relation ou pas, Sierra n’était pas dupe et avait nombre de fois vu à quel point la jeune femme pouvait se sentir seule. Ses prunelles marquaient souvent une enfance difficile et un monde douloureux dans lequel elle avait probablement dû souffrir des pires sévices. Elle avait donc besoin de présence et d’attention, de quelqu’un d’aimant. Sûrement pas comme Sierra qui avait plutôt besoin que quelqu’un la secoue efficacement et l’empêche souvent de se fourrer dans des histoires inextricables. Pour être tout à fait honnête avec toi Daria, tu es l’une de mes rares amies. Tu en as conscience. Et pendant longtemps, j’ai vu dépérir ceux autour de moi sans jamais m’en inquiéter. Je ne veux pas refaire la même erreur deux fois. Vous m’êtes précieux, bien plus que je n’aurais cru l’imaginer. Cette rareté doit être préservée. Sierra avait reposé son regard sur son verre, le faisant rouler au contact de ses doigts. Ce genre de paroles, elle n’aurait jamais consenti à les exprimer des années en arrière. Même des mois. Mais tout changeait. Tout le monde. Son visage si assuré se fendilla lentement. Une fragilité qu’il était vain d’ignorer, s’emparait de ses prunelles qui lançaient bien souvent des flammes plus que des larmes. Au vu de ses absences, au vu de tout ce que tu mérites, j’espère vraiment qu’il saura te combler. Mais sache que je suis là quoi qu’il arrive. Sierra lui accordait enfin la position que Daria aurait toujours dû avoir dans son cœur. La jeune femme la regarda à nouveau. Elle pouvait partir si elle voulait mais l’inquiétude était notable bien qu’il ne reposait sur aucun fondement. C’est ce genre de choses que j’aurais aimé pouvoir dire à certaines personnes avant qu’elles se brisent. Alors je te le dis à toi. Parce que tu es mon amie et qu’au moins maintenant, tu le sais. Daria savait maintenant qu’elle pourrait compter sur Sierra dans sa vie. Pas seulement pour se moquer de la plèbe, tourbillonner dans des affaires louches, se couvrir mutuellement ou boire des verres pour faire la fermeture des bars. M’enfin, tu n’as pas vraiment de conseils à recevoir de ma part. Je suis retournée auprès de Stanislas. Il m’a filé les clés du manoir. T’as le droit de te foutre de ma gueule. Qu’elle lâchait en riant presque pour elle-même. Sierra ne savait toujours pas ce qu’elle ressentait véritablement pour Stanislas mais personne n’avait vu d’un bon œil cette relation. Autant dire qu’elle était loin de pouvoir savoir ce qui était bon pour les autres lorsqu’elle s’évertuait à filer droit dans les bras de satan lui-même…