Les fêtes de fin d’année, aussi bien Noël que le nouvel an, ne se présentaient pas sous les meilleurs auspices pour Devon, qui ne voyait plus décembre d’un regard enfantin et innocent. Les photos de famille avaient été rangées, ce mot ayant pris une autre saveur quand la vérité avait éclaté au grand jour, à savoir son adoption. Les mensonges lui avaient été servis entre la dinde et la bûche, entre le repas et l’ouverture des cadeaux sans se soucier des éventuelles répercussions que cela pourrait avoir sur son avenir et celui de chaque membre du clan Simpson. Le jour de la chute était gravé en lui, souvenir encore plus marquant que la première rencontre avec le père Noël ou l’illumination annuelle du marché de Noël où ils se rendaient tous. Avec Vanessa. Son prénom n’était plus prononcé, car il rappelait cette place vide à table, ce rire qui ne résonnait plus. Et c’était la raison évidente qui poussait le nouveau premier adjoint au maire à éviter toute cérémonie familiale. Les mois s’étaient écoulés sans qu’il ne mette un pied chez ses parents, trouvant toujours un excellent prétexte à son absence. Le divorce, le travail, son fils… il ne pouvait pas leur faire face, les regarder droit dans les yeux et leur mentir sur les raisons du décès prématuré de leur fille. De sa sœur. La culpabilité s’était atténuée avec le temps, se réduisant comme une bougie qui se consumait lentement. Mais si tout était rodé, Devon s’était fait avoir quelques semaines plus tôt et n’avait su trouver un alibi digne de ce nom pour échapper à la mascarade une nouvelle fois. Et le voilà accoudé à son plan de travail à regarder son salon dans lequel trônait le sapin orné de boules de Noël, de guirlandes et autres décorations. Comédie ridicule mais qui avait ramené un peu de magie dans sa maison, si grande pour un homme si seul. Enfin  qui n’allait pas tarder à retrouver ses parents.

Devon s’était empressé de réunir les paquets et les mettre dans le coffre de sa voiture, pour prendre la route. La neige était présente sur la route, et il ne voulait prendre aucun risque inconsidéré. Car même si la distance n’était pas des plus importantes, il avait trop eu souvent vu des accidents se produire sur des chemins familiers. La maturité parlait sans nul doute, et le surplus de confiance au volant jouait bien des tours, surtout quand les éléments entraient en compte et venaient fausser les cartes distribuées. Dernier tour de la maison à vérifier que toutes les lumières étaient éteintes, le brun avait fermé à clé son domicile et s’était engagé sur ce qui s’apparentait clairement à son chemin de croix. Et vu que son attention était portée sur ce qui se passait devant lui, il ne pouvait guère préparer de possibles discours. Même si des phrases toute faites étaient présentes à son esprit depuis quasiment deux années, vingt-quatre mois durant lesquels les mots avaient été changés des dizaines voire même des centaines de fois, traduisant à la perfection la colère, la déception, tous ces sentiments qui s’étaient succédé les uns à la suite des autres sans qu’il ne puisse les contrôler. Ses doigts se crispèrent sur le volant, ses jointures blanchissant tant il se voulait crispé par ce qui se jouerait à son arrivée. Une arrivée retardée en raison d’un véhicule à l’arrêt sur le bas-coté de la route. Son instinct le poussait à penser qu’il s’agissait d’une femme, et quand bien même tel n’était pas le cas, il ne souhaitait à personne de se retrouver seul dans son véhicule avec des températures glaciales. Il manœuvra et s’arrêta quelques mètres plus loin, permettant à la circulation de se poursuivre sans encombres. Coupant le moteur, Devon attrapa son manteau, l’enfila et quitta l’habitacle tempéré pour se retrouver dans le froid et les flocons qui tourbillonnaient et s’écrasaient sur son visage alors qu’il avançait vers la voiture. Personne ne semblait sorti, et il frappa doucement à la vitre pour manifester sa présence. « bonjour, je peux vous aider ? » . Le gentleman qui venait à la rescousse d’un(e) inconnu(e) et qui ne se doutait pas que la chance pouvait être de son coté, ou que le passé finissait par le rattraper.

Quand toute la vie n’avait été qu’un tissu de mensonges, il était quelque peu difficile de passer outre et faire comme si de rien était.Devon avait su passer outre son adoption et le fait que ses parents ne lui aient rien dévoilé sur ses véritables origines ou du moins sur le fait qu’il n’était pas un Simpson à part entière. La vérité s’était apparentée à un coup de poignard qu’on lui avait enfoncé dans le myocarde, en prenant soin de briser au passage les fondements de son existence, de sa confiance en lui. Et voilà depuis plus de vingt ans qu’il faisait bonne figure auprès de ce foyer auquel il n’appartenait pas, et près de deux ans qu’il trouvait toutes les excuses possibles et imaginables pour ne pas avoir à mentir sur les raisons de l’absence de Vanessa autour de la table. Lourds mensonges qui reposaient sur sa conscience et la culpabilité dont il tentait de faire abstraction. Devon avait appris à mettre de coté les pensées négatives au fur et à mesure que les paquets s’entassaient dans la voiture. Il fallait le faire, au nom d’une sacro-sainte réunion de famille pour la fameuse fête où les présents balayaient toutes les horreurs du passé et contribuaient à un espoir de futur meilleur et serein. Vaines illusions auxquelles il allait se prêter, le temps d’une journée ou plus, si les liens étaient renoués. Les pensées se bousculaient à son esprit alors que son attention devait se porter sur la route enneigée et les différents pièges qui étaient en mesure de le mettre dans le décor. Cela contrastait fortement avec les photographies des paysages divers et variés recouverts par la poudreuse. Et Devon n’avait pas particulièrement le temps de s’extasier sur les possibles clichés qu’il aurait pu réaliser et qui seraient venus décorer le tout nouveau bureau dans lequel il exercerait ses fonctions de premier adjoint au maire.
Et alors que la prudence était de mise et qu’il roulait prudemment, Devon n’avait pu que s’arrêter pour venir en aide à la personne qui se retrouvait prise au piège aux aléas climatiques. La voiture lui était méconnue et il n’avait pu que s’avancer afin de frapper à la vitre pour voir ce qu’il pouvait faire. Le contact de la voiture fut remis et la vitre se descendit, présentant à l’adjoint le visage d’une femme qui lui était familier. Eva. La surprise était de taille, cela faisait des années que leurs chemins s’étaient séparés promptement, sans raison valable. Enfin, si on faisait abstraction des études éventuelles de la demoiselle qui avait dû la pousser à quitter Trois-Rivières afin d’accomplir ses rêves. Des bribes de conversation d’une époque passée lui revenait, d’un partage de passion, de la sœur de cet ami avec laquelle il avait passé des heures et des heures à photographier toute sorte de choses. Pour le plaisir de la simplicité. Devon esquissa un léger sourire. « Eva, quelle surprise. Je ne savais pas que tu étais de retour » . Les nouvelles avaient tendance à circuler rapidement, mais aucune annonce n’avait été faite pour la brune. Il scruta son visage, constatant que le temps n’avait eu aucun effet indésirable sur elle. Et il avait perçu une légère gêne chez elle, mais il passa outre en écoutant le souci qui se présentait. Mettre le nez dans le moteur du véhicule n’aurait sans doute pas été un souci en temps normal, mais le temps n’était en aucun cas propice à faire des expériences de mécanique dans le seul but de prouver qu’il était un homme et qu’il était en mesure d’intervenir en cas de panne. Ce qui n’était pas vraiment le cas. Il se frotta la nuque, regardant la route à la recherche d’une éventuelle solution de secours et une seule perspective se présentait à lui. « on pourrait essayer d’appeler un garagiste, mais le temps qu’il arrive, on risque d’être gelés sur place. Je vais chez mes parents, donc je peux te proposer de t’amener chez les tiens, enfin si c’est bien ta destination. Parce qu’il est hors de question que je te laisse ici, et on pourra ainsi contacter un professionnel quand on sera au chaud et en sécurité. » . Ce n’était pas les meilleures retrouvailles possibles, mais la sécurité de la demoiselle était sa priorité à l’heure actuelle. Il se frotta les mains afin de se réchauffer. « qu’est ce que tu en dis ? » . Il espérait que la réponse serait positive et qu’ils pourraient tenter de reprendre le chemin et arriver sans encombre à la maison, en brisant la glace des années écoulées.

Les gens croyaient au coïncidence. Ou non. Ils se refusaient d’être les pantins d’un quelconque hasard mais s’évertuaient à penser que tout était écrit pour une bonne raison.  Devon ne savait se résoudre à croire à de telles sornettes, pas avec son histoire personnelle, pas avec les mensonges qui lui avaient été servis des années durant et la cruauté de Lory qui avait cassé la boule de neige dans laquelle il avait évolué depuis son enfance. À présent, il savait que ses actes passés avaient eu des conséquences. La preuve en était avec Vanessa, mais également avec son petit frère qui avait choisi la voie de la décadence pour punir tous les Simpson des non-dits qui avaient brisé le cocon familial. À présent, il avait décidé d’assumer ses erreurs, de cesser de fuir et de répondre par l’affirmative à l’invitation dans la demeure familiale. c’était sans entrain et sans envie folle qu’il avait pris la route blanchie, et beaucoup d’appréhension avec l’esprit chevaleresque qu’il s’était arrêté en constatant que les aléas climatiques avaient fait une victime. La voiture arrêtée, il n’avait pu qu’aller taper à la vitre pour découvrir le visage familier de sa compagne de passions, cette figure d’antan qui se rappelait à son bon souvenir. Tout revenait par vague, les instants partagés, cette simplicité, avant qu’il n’y ait plus rien, qu’un mariage arrangé et l’enterrement de la passion d’une vie. Les mots de Devon traduisirent sa surprise, mais aussi la joie de la retrouver après tout ce temps. Parce que du jour au lendemain, il n’y avait eu plus aucune nouvelle, un silence pesant auquel il n’avait plus pensé jusqu’à maintenant. La solution n’était pas de ressasser une époque révolue, mais de trouver une solution quant au fait de sortir de là et d’empêcher Eva de finir frigorifiée dans sa voiture. Attendre un quelconque dépannage serait une perte de temps, ce qui expliqua la proposition faite. La voiture de Devon n’était pas enlisée dans la neige et avait subi tous les contrôles nécessaires pour affronter la route. Il avait plongé son regard dans le sien en attendant une quelconque réponse de sa part. Le froid lui mordait déjà la peau, et il espérait ne pas rester trop longtemps sous les flocons, même si cela retardait fortement le moment indésiré. La jeune femme avait fini par répondre par la positive, mais le premier adjoint au maire pouvait percevoir une forme d’hésitation, sans qu’il ne comprenne la raison. Le temps ? La distance ?  Les deux ? Il restait relativement perplexe, et il esquissa un léger sourire en hochant la tête. « mais de rien. Je ne vais pas te laisser là, dans le froid alors que je retrouverai la chaleur de ma voiture et la maison de mes parents » . c’était tout naturel et des plus normal, au point qu’il recula d’un pas afin de lui permettre de récupérer ses affaires. Il était reparti vers son propre véhicule et avait ouvert son propre coffre afin de lui permettre de mettre ses paquets. Ils avaient tous deux le même but, et il se retourna, l’observant de loin. L’adolescente avait laissé place à une femme magnifique, et il aurait fallu être aveugle pour ne le voir. Sans se montrer trop insistant, il avait fini par reporter son attention sur le paysage qui les entourait, attendit qu’elle ne mette ses affaires dans la voiture. Devon avait alors refermé le coffre puis prit place derrière le volant alors qu’Eva s’installait côté passager. Il faisait déjà nettement plus chaud, et Devon frottait ses mains l’une contre l’autre afin de les réchauffer. Il prit une profonde inspiration, et tourna la tête vers elle. Cela faisait la seconde fois qu’elle le remerciait, comme s’il s’agissait d’un comportement naturel pour lui.   « une nouvelle fois, c’est trois fois rien. Et puis, mes parents ne m’ont pas élevé de la manière à laisser les personnes en détresse seules et à leur sort. Et puis, on va quasiment au même endroit » . Il tourna la clé, et la voiture démarra sans mal. Il avança au pas, et se sentit tiré d’affaires. Le silence régnait, le quadragénaire étant bien trop concentré sur la route pour oser tourner la tête vers Eva. « alors, où étais-tu durant toutes ces années ? » . La question était sortie tout naturellement, tout comme la voiture qui n’avait pas tardé à faire une embardée et s’arrêter net, au milieu de nulle part, encore loin de leur destination finale. Il tapa machinalement sur le volant, sachant pertinemment que cela les tirerait pas de ce faux pas. « tu crois sincèrement qu’on est maudits ? Ou qu’on nous donne une opportunité de parler un peu ? » . Paroles vaines d’une certaine manière, le constat était sans appel : la neige reprenait ses droits, et les deux protagonistes faisaient un bond dans le passé.