tout le monde pourrait le dire, c'est pas ton genre. mais en ce moment, tu t'montres sans doute trop héroïque. en plus de vouloir aider Mercedes comme tu l'peux, voilà que tu héberges aujourd'hui Soane et que tu prends la direction de l'appartement d'une collègue simplement parce que t'es sans nouvelle d'elle depuis quelques jours et que tu te fais du soucis. quelque chose cloche, dans ton propre comportement. t'as de la peine à te reconnaître et pourtant, tu sais depuis toujours de quoi tu souffres.
le syndrome du héros.
c'est propre à tes fonctions, après tout. chaque flic a choisi cette voie pour une bonne raison. si aider les autres n'fait pas partie de votre ADN, c'est sans doute que vous faite fausse route. mais ça n'a jamais été aussi exacerbé qu'en ce moment. tu te perds Ali, tu l'sais. tu devrais même pas t'soucier de Lola, mais quelque part, tu t'es pris d'affection pour elle. affection, ce mot te fait presque frissonner. tu marques une pause, face au bâtiment. tu vas vraiment le faire ? bien sûr, il est déjà trop tard après tout. tu ramènes le col de ta veste contre ton manteau, pousses la porte et grimpes les marches. son adresse, tu l'as trouvé au job, grâce à d'autre collègue. personne n'a su te dire pourquoi elle n'était pas venue ces trois derniers jours mais tout le monde semblait s'en moquer royalement. pas moi. et pourquoi ? après tout, ce n'est pas comme si elle était ton amie.. mais cette petite.. tu souffles, roules des yeux. parfois, tu t'agaces presque seul. tu frappes à la porte, prêt sans doute à te prendre un sermon. t'as rien à faire ici. pourtant, la femme qui t'ouvre la porte n'a rien de commun avec celle que t'as l'habitude de voir.
- putain t'as une sale gueule Sorensen. tu peux pas t'empêcher de lâcher alors que ses orbes se glissent dans les tiennes. tu sais que c'est pas très subtil de ta part, pas sympathique non plus d'ailleurs. j'suis venu voir si tu allais bien.. j'crois que j'ai la réponse à ma question. tu me laisses entrer ? droit au but, c'est dans tes habitudes. bourru et rustre, ça te ressemble un peu mieux. à croire que tu t'adoucis avec l'âge.

Le réveil sonne. Une fois. Deux fois. Trois fois. T’as envie de vomir rien qu’à l’idée de te lever. De te retrouver au milieu de tous ces gens qui te sourient comme si de rien était. Mais y’a rien. Pour eux. C’est pas leur monde qui s’écroule avec son absence. C’est rien. Au mieux, pour ceux qui le connaissaient, c’est rien d’autre qu’une vieille habitude qui s’efface avec le temps. Le gentil garçon de la librairie est parti. Ou le voisin souriant. Ou le patient toujours poli. C’est tout. Il est pas mort. Il est parti. Peut-être qu’ils regrettent parfois son sourire. Probablement à peine. C’est rien pour eux. C’est tout pour toi. C’est le monde qui s’écroule à tes pieds. Il y a deux jours, c’était votre anniversaire de couple. C’est drôle, parce que tu t’es jamais souvenu de ces choses là. C’est ton téléphone qui te l’a rappelé. Il y a un an … Et ces photos. Ces trucs trop romantiques qu’il faisait toujours et qui te faisaient plus fondre que tu voulais bien l’admettre. Tu enfouies ta tête sous la couette. C’est la pensée que, quelques jours avant cette photo, tu essayais de ramener à la vie un mec qui venait de t’agresser, qui t’achève. Tu balançais son corps lesté dans la rivière. Contre toute attente, des images reviennent. Ces images que t’as enfouis si loin pour les oublier.

T’attrapes ton téléphone pour envoyer un message à ton boss. T’es malade. Tu pourras pas venir aujourd’hui. Comme hier. Comme avant-hier. C’est pratiquement pas un mensonge. T’es malade de son absence. Malade d’être si loin du super-héros que tu rêvais d’être quand tu étais jeune. Et puis, t’as presque pas dormi de la nuit. C’est comme ça depuis des semaines. Y’a comme un gouffre sous tes yeux. C’est pas trop joli. Tes yeux rouges et tes cernes noires.

Les autres partent au travail et toi, tu restes là. Blottie sous un plaid sur le canapé. C’est pourtant pas ton genre. De rester à rien faire. T’as toujours détesté ça. Mais là … C’est comme si t’avais la force de rien. Juste de rester plantée là, devant un film un peu bourrin de netflix. Pendant des heures. Tu manges de la merde. Des popcorn et des bonbons. Tu râles quand ça frappe à la porte. T’as envie de voir personne. T’es en état de voir personne. Pourtant, ça frappe encore et y’a personne d’autre que toi à l’appart. Tu grognes, finissant par abandonner tes bonbons sur le canapé pour te lever et ouvrir la porte. Tu regrettes immédiatement de ne pas avoir vérifier qui c’est. Tu refermes un peu mieux ton gilet long et confortable pour dissimuler ton teeshirt et ton shorty de pyjama. Tu te renfrognes à sa remarque avant de répliquer sans aucune diplomatie « …T’as vu la tienne ? » Tu soupires vaguement avant de t’écarter pour le laisser rentrer. C’est pas comme si t’avais le choix, tu vas pas lui claquer la porte à la gueule. « Tu devrais pas débarquer chez les gens malades … » Elle est doublement ironique ta remarque. Déjà parce que t’es pas malade. Ou du moins, pas dans le sens qu’on imagine. Et puis parce, en fait, c'est pas une question de maladie. T'es juste pas infectieuse. Techniquement, t'es malade. Comme tout le monde dans cette foutue maison. « Tu veux un café …? » Pour une fois, tu penses aux formules de politesse. Pas tellement ton genre. C’était Gaby qui pensait à ce genre de trucs. Pas toi.