le soleil est perçant, et éclaire d'un voile de lumière tout le campus universitaire. doucement, il réchauffe ton corps, et te donne le sourire. oui, le soleil est au rendez-vous comme un ami, comme un allié, alors que tu es à nouveau dans la ville de tes plus grands cauchemars. non. tu n'aimes pas la nommer comme ça, lui procurer une force qu'elle n'a pas. ce n'est pas la faute de trois-rivières si elle a été gangrenée de quelques diables. c'est encore moins de sa faute si ces derniers ont croisé ton chemin. c'est ce dont tu essaies de te persuader, parce que sinon tu suffoquerais rien qu'en y mettant un pied. mais depuis le premier jour de ta seconde vie -soit, ta libération de prison, la fin de ton procès, ta seconde chance- tu as décidé que tu n'irais que de l'avant, et que tes démons passés n'auront plus le dessus sur toi. ton histoire, tes traumas, t'as failli en mourir. spirituellement. quand ils sont venus à la vie, une partie de toi s'en est allée et n'est jamais revenue. et c'est bien pour l'infime partie qui est restée, que tu te bas chaque jour. elle, et pour toutes les personnes qui t'entourent.

plus déterminée que jamais de faire de ta venue sur terre un acte fondateur et militant. sans relâche, tu te battras pour autrui, et surtout, pour les victimes un peu partout. sans relâche, tu feras que ta vie ait du sens. mission compliquée, sûrement utopique, mais mieux que personne tu sais qu'une parole, qu'un soutien, qu'une main tendue, peut changer la vie d'une personne.

si tu as décidé d'orienter ta nouvelle vie à montréal -loin du fléau du regard d'autrui, celui qui croit savoir et qui détruit- tu es aussi bien décidée à montrer un inconditionnel soutien à l'association qui t'a permis de pouvoir le faire. speak your voice t'a donné une voix, à toi d'en faire bonne usage. c'est ta mission pour aujourd'hui, et pour le reste de ta vie. "(...) soojin, je dois vraiment y aller mais kira ne va pas tarder à arriver. prends soin de toi, et appelle moi vite pour me donner de tes nouvelles !" son sourire est solaire, et déjà, elle quitte la table en bougeant la main pour te saluer. c'est le début de l'après-midi. l'université propose une semaine centrée sur les discriminations, avec des stands d'informations provenant de plusieurs associations, des conférences et des activités. le genre d'évènement que tu adores pour la bienveillance et le partage qui s'en dégage. revenue pour tenir le stand toute la journée, tu attends impatiemment la nouvelle bénévole -arrivée à l'association après ton départ- pour pouvoir échanger et vibrer d'avoir une conversation chaleureuse et normale. prise entre ton travail temporaire aux sirops poulain et les études pour l'académie de police, tu n'as presque plus le temps pour les rencontres. et tu as terriblement besoin de rencontres, de renouveau, d'un souffle de fraicheur dans une vie qui te semble terne, même si tu es persuadée qu'elle ne le restera pas.

aux premières heures de la journée déjà, kira avait le sentiment que cette journée serait baignée d'une lumière douce et d'une brise qui la porterait loin. beaucoup de défis dans sa vie avaient récemment décidé de prendre l'autoroute : elle se retrouvait propulsée vers ses rêves, à 130 vers la salle de yoga, un statut intouchable de jeune mère auréolée de sagesse, et un coeur qui se recollait d'une nouvelle colle plus forte, plus résistante aux chocs. elle se paraît d'une nouvelle armure qui brillait sous les rayons neufs de cette belle journée aux allures faussement printanières.

kujtim avait été laissé en garde à la crèche, ce qui était désormais le cas plusieurs jours par semaine, à mesure qu'il grandissait et que ses traits semblaient s'affiner vers l'un ou l'autre de ses deux membres fondateurs. il avait les boucles épaisses et brunes qui pointaient sur son front, que kira adorait effleurer du bout des doigts pour l'endormir. et il ouvrait sur le monde ces deux yeux incroyablement bleus, bleus comme l'horizon qu'elle était fière d'avoir construit, point par point, dans une même gamme chromatique.

aujourd'hui, dans ces vents doux qui lui murmuraient un soutien sans faille, kira allait rendre. rendre de cet amour universel dans lequel elle avait abondamment puisé toutes ces années, à travers sa fratrie, ses amis ou les rencontres fortuites et magnifiques qu'elle avait faites en voyage à travers le monde. kira était désormais maman, et, si cette identité semblait parfois l'avaler toute entière, il n'en restait pas moins qu'elle était venue au monde grande soeur, amie et amante. que toute sa vie, elle avait évolué au contact de femmes inspirantes, belles, déterminées, que celles-ci avaient su lui laisser sur la peau ou dans le coeur un besoin de conquête.

enrobée dans une douce robe longue, kira s'avançait à travers le campus, mains dans les poches, avec le sourire las qui lui berçait les lèvres. elle n'avait pas eu la chance de faire des études et encore moins d'y retrouver un soutien salutaire à toutes les brèches qui s'étaient crées dans son chemin, pensait-elle en observant ces jeunes personnes si solaires qui traversaient les allées en bavardant avec animation. et pourtant. personne n'avait semblé pouvoir voler la jeunesse de kira, en dépit des tentatives. c'est pourquoi elle voulait aujourd'hui tant s'assurer que personne ne vole celle des autres.

au stand l'attendait une jeune femme a l'air avenant, baignée par un soleil insolent qui joue avec ses cheveux de jais. kira tend vers elle un visage ouvert, un sourire chaleureux. bonjour ! elle glisse à son attention. c'est soojin, c'est ça ? elle présuppose, ne voyant qu'elle à ce stand où quelqu'un devait l'attendre ce jour. je suis kira, elle glisse avec une complicité toute naturelle, en tendant vers elle sa main droite.