elle avait des cernes d'un gris cendré qui lui couraient sous ses pupilles azur, et pourtant le coeur qui débordait d'une confiance nouvelle.

l'avenir, elle l'avait vu. il était bleu comme les yeux de son fils.

il y a à peine un mois, kira avait aboutit dans ce petit local poussiéreux, en bord de fleuve, situé à peine à dix minutes à pieds de son appartement. quatre murs, un pilier central, une arrière salle un peu carrelée et une belle baie vitrée : nothing fancy, avait pensé kira avec son accent de new-yorkaise écartelée, mais amplement suffisant pour l'ambition affichée.

alors avec les moyens dont elle disposait -trop peu de temps, mais une volonté farouche- et l'aide des quelques amis qu'elle se construisait, kira avait commencé la rénovation, le lendemain de la signature des papiers. ce petit bout de sol, cette petite échoppe tranquille, la voilà sienne : elle avait posé au sol un parquet chaud, repeint les murs d'un beige tranquille, installé dans l'arrière salle un petit vestiaire clinquant, douches, toilettes et casiers flambant neufs. elle avait posé la veille au soir sur ce sol immaculé les tapis colorés qu'elle avait commandé : dix places, pour dix élèves, du mardi au samedi, de 13h à 19h.

autrement dit, la nouvelle vie de kira prenait ses contours, achevait de s'écrire. et comme à chaque fois qu'elle arrivait au bout d'une course, aux dernières marches d'une ascension, à sa destination finale, elle se sentait le coeur prêt à exploser d'un amour indicible, d'une excitation débordante. elle avait fait de cette petite passion timide -le yoga, qu'elle pratiquait entre deux cartons et après avoir poussé tous les meubles dans son petit studio de brooklyn- sa nouvelle ambition, une carrière et ce qui avait la lourde responsabilité d'assurer un avenir à son fils. il ne manquait presque plus rien pour qu'elle touche de ses longs doigts à son rêve.

afin de parachever son oeuvre, kira la gestionnaire, kira l'organisée avait contacté des prestataires pour la réalisation de son site web. les années d'errance et de tourments l'avaient éloignée de ces compétences techniques, et elle voulait aujourd'hui promouvoir son activité à l'aide d'un site qui attirerait le plus grand nombre. c'est donc dans une fin d'après-midi douce, à l'intérieur de ce grand café où le plafond, haut, était paré de magnifiques lumières, que kira attendait ce jeune homme qui avait promis vouloir l'aider. patientant dans un silence réconfortant devant son thé, kira jetait des coup d'oeil discrets vers la poussette installée juste à sa droite, où son fils, débordant de ses joues roses de bébé, semblait dormir à poings fermés.