l'automne. désormais la troisième saison que tu partageais aux côtés de ton frère, à baie jolie. tu te souviens encore de tes yeux pétillants d'entrain et de joie, en découvrant le loft pour la première fois, et surtout ce sentiment presque divin, de sécurité. oui, ici, tu étais en sécurité. rien ne te faisais peur, quand mandy était dans les parages. ou peut-être juste mandy lui-même. mais pas pour toi, ça jamais. pour lui, pour rose, et pour tout le reste de ces histoires sans fin. sans fin, c'était l'expression juste. un éternellement recommencement d'un chaos qui touchait beaucoup trop de personnes. et une nouvelle tempête s'apprêtait à toucher mandy. une qui le mettrait en colère. très en colère. t'as hésité, longuement, avant de te décider à lui dire. le lundi, pensant que c'était la pire idée possible et que tu ne voulais pas être la source de la colère de ton frère. la mardi, résolue à lui dire avec tes mots et à essayer de le calmer, de le raisonner. et ainsi de suite, jusqu'à ce soir. là, tu étais résolue. il le fallait. rose ne dira jamais à votre frère la grande nouvelle, et il ne pouvait pas l'apprendre de la bouche de quelqu'un d'autre qu'une landry.

soufflant et grimaçant, un plaid sur les épaules, les yeux rivés sur la grande fenêtre du salon, tu observais avec passivité l'extérieur. les couleurs orangées se dispersant dans la ville, et les décorations se mettre en place alors qu'halloween approchait à grands pas. tu sortis de tes rêveries en entendant la porte d'entrée s'ouvrir. te redressant, l'air coupable, tu t'adossais à la fenêtre, tentant d'afficher un sourire sincère sur ton visage. mais tu avais peur de la suite. "bonsoir." la voix mélodieuse, tu le laissais entrer correctement avant de te jeter sur lui. mais trop impatiente, tu n'attendis pas si longtemps que ça. "tu manges avec moi ? j'ai préparé une bonne soupe de saison." ce qui était bien une des rares choses que tu étais capable de cuisiner correctement. t'avançant doucement, tu ne savais pas quoi espérer : qu'il accepte et devoir lui annoncer la nouvelle, ou qu'il refuse et être débarrassée de cette corvée, au moins pour cette nuit.

occupé à relire les comptes du bar, tu n'vois pas le temps passer. il est temps, tu penses constamment en voyant les chiffres prendre de plus en plus d'ampleur. la clientèle s'est fidélisée, désormais. le bouche à oreille à fonctionner et les hommes qui se pressent, chaque soir d'ouverture, à la porte du pussycat réclament, désormais, quelque chose de plus fort, de mieux. alors t'en as parlé avec xavier. il est temps, tu te répètes en léchant ta lèvre inférieure. tu fermes ton dossier, éteins ton écran et te redresses sur tes jambes. il est temps de mettre le feu, métaphoriquement parlant, bien sûr. le temps pour votre affaire de se révéler pour ce qu'elle aspire à être depuis toujours. les filles n'y verront que du feu, ne pourront se soustraire au contrat qu'elles ont signé et sur lesquels les petits caractères faisaient mention d'une certaine indemnité à régler si jamais elles refusaient de suivre vos ordres. manipuler, mentir et tromper, voilà ce qui faisait de toi l'homme que tu es aujourd'hui.
le coeur léger, tu quittes le bar en appelant un taxi pour rentrer.
reina t'attend, tu l'sais. elle vit chez toi depuis des mois déjà. la cohabitation se passe pour le mieux. elle est la soeur la plus malléable, dans le bon sens du terme. elle t'aime, elle sait le montrer. elle est reconnaissante, elle sait te le faire comprendre. et ça t'fait du bien. rose est un électron libre dont tu t'occuperas, prochainement, mais pour l'heure, t'as des affaires plus urgentes à régler - enfin, c'est ce que tu crois. quand tu pousses la porte du loft, t'entends reina qui te dit (bonsoir.) elle t'attend, elle te saute dessus. tu souris. quand tu rentres, tu redeviens le grand frère. celui qui s'montre un peu trop protecteur mais surtout, celui qui sait être humain. t'es pas l'monstre ici, celui qui défausse, qui déleste, qui fait du mal et qui brise. avec reina, t'es juste mandy. l'incorrigible grand frère un peu pesant. (tu manges avec moi ? j'ai préparé une bonne soupe de saison.) tu enlèves ton manteau, tu souris. (bien sûr.) tu lui réponds avec sincérité. tu poses tes affaires dans l'entrée et puis, tu enlèves tes chaussures. tu la regardes (t'es sortie aujourd'hui ?) tu lui demandes, simplement. t'intéressant réellement à ce qu'elle a fait de sa journée.

le nez un peu rougi par le froid, t'allumes le chauffage. t'as besoin de te sentir bien ici, parfaitement à l'aise. t'as la capacité de t'adapter autant aux endroits qu'aux personnes, et ça brouille les pistes. de ce fait, t'as du mal à savoir si une personne est vraiment spéciale pour toi, et si un lieu représente plus qu'un lieu. dans l'ancien loft réaménagé, tu te sens bien, très bien. mais est-ce que tu te sens chez toi ? c'est surtout la présence de mandy qui t'apporte cette chaleur tant attendue d'un chez soi. la présence d'un grand frère avec lequel tu n'as plus vécu depuis des années et des années. une impression de revenir aux sources, aux vraies, mais aussi de te perdre un peu là-dedans. parce que dans ton choix de vivre avec mandy, il a fallu faire une croix sur le fait que rose viendrait chez toi. un choix plus compliqué de jour en jour, alors que les événements avancent.

le grand frère arrivé, tes yeux s'illuminent de joie, et de peur. t'as repoussé le moment de la vérité pendant trop longtemps, et tu tiens à ton rôle de bonne soeur. celle qui aime les deux partis, qui les écoute, et qui sait les apprivoiser. mandy, s'installant à la table à manger, tu remues la soupe en attendant qu'elle soit parfaite, ajoutant quelques épices pour lui donner du goût. "j'étais au travail." tu dis immédiatement, un peu surprise par sa question. "le numéro du mois prochain risque d'être génial, j'ai un peu aidé dessus." aidé en qualité d'assistante, mais tu sais intérieurement que sans toi, la fluidité de l'exécution de ce mois n'aurait pas été la même. tu rêverais pourtant d'un peu plus de reconnaissance, d'être moins dans l'ombre, de retourner sur le devant de la scène, là où on lit ton nom. comme avant mais comme avant. "et toi, ta journée ?" tu lui fais face, avant de te retourner à nouveau. tu fuis son regard, et avec ça, sa future réaction. la fumée te pique le nez et les yeux. tu éteins le feu, avant de servir deux bols généreux. "c'est de la butternut. bon appétit !" tu poses le bol devant lui, avant de t'installer en face. faisant cogner la cuillère contre la céramique, tu prends une inspiration avant d'enfin oser prononcer ces quelques mots. "dis mandy, je voudrais te parler d'un truc." ta voix est gaie, tu ne voudrais pas l'inquiéter. maintenant que c'est dit, tu pourras pas revenir en arrière.

depuis qu'elle habite avec toi, cet endroit est différent. l'ambiance y est moins sombre, moins froide. t'as l'sentiment qu'elle a apporté dans ses valises la couleur qui manquait à ton quotidien pour que, malgré toi, tu t'y sentes mieux, tu t'y sentes bien. reina a éclairé tes soirées, tes nuits, tes matins.. la voir au quotidien te donne le sentiment d'être plus humain, plus gentil, plus doux, moins intempestif. comme si elle calmait tes ardeurs, comme si elle savait exactement comment te canaliser pour t'éviter l'implosion. rose n'était plus vraiment dans l'équation de votre famille mais tu ne lui en tenais pas rigueur pour autant. tu saurais t'en occuper, le moment venu. pour l'heure, tu te contentais d'avoir reina avec toi, ça te suffisait largement. aussi, quand tu la retrouves, tu ne peux t'empêcher de sourire. elle a sur toi le même effet qu'agathe, l'excitation en moins - c'est ta soeur après tout. (j'étais au travail.) question à la con, c'est vrai. elle t'en avait déjà parlé. mais t'es trop absorbé par tes affaires pour t'en souvenir. t'es pas l'meilleur frère qui soit, faut bien l'admettre. si elle savait ce que tu préparais au pussycat, tu sais que reina f'rait ses valises et s'en irait. c'est bien pour ça que tu n'lui parles jamais de cet endroit. (le numéro du mois prochain risque d'être génial, j'ai un peu aidé dessus.) tu la vois qui brasse la soupe. tu te débarrasses de tes affaires pour la rejoindre. de l'extérieur, cette scène est presque touchante. nuancée d'un amour sincère qui vous lie tous les deux. néanmoins, il y a les mensonges. ceux qui dérangent, ceux qui se dressent dans l'ombre. tu poses une main sur son épaule, tu dis (c'est super. je me réjouis de le lire.) et c'est sincère. tu as acheté le dernier numéro, il trône fièrement sur la table du salon. tu encourages toujours ta soeur. c'est normal, le moins que tu puisses faire. (et toi, ta journée ?) elle détourne les yeux et c'est tant mieux. tu préfères qu'elle ne lise pas ce qu'il se cache dans les tiens. j'ai proposé à une de mes serveuses de vendre son cul.. non, j'ai exigé. pourtant, tu réponds simplement (de la paperasse, encore et toujours. tenir un bar est plus compliqué que je ne l'imaginais.) si elle savait. (c'est de la butternut. bon appétit !) elle pose le bol devant toi, s'installe à table après que tu t'y sois assis. juste en face de toi. tu regardes la couleur du potage, tu souris. (merci.) le mélange des épices chatouille tes narines. un vieux souvenir te revient. tu crois reconnaître rose et reina qui s'égosillent autour d'une table alors que tu leur prépares à manger. vous étiez plus jeunes.. vous étiez si proches. qu'est-ce qui nous est arrivé ? (dis mandy, je voudrais te parler d'un truc.) sa voix te ramène à la réalité. tu portes la cuillère à ta bouche, tu ne perçois ni l'angoisse ni l'appréhension. tu te doutes pas de ce que ça cache, bien au contraire. (je t'écoute.) tu lui réponds en avalant une première bouchée.

quelle scène précieuse. ton frère, toi, de la soupe faite maison dans votre chez-vous. une relation sincère, belle, et un esprit de famille que t'as un peu retrouvé en vivant avec lui. le temps de quelques secondes, t'as l'impression que tout est normal, banal. que vous n'êtes que deux gamins ayant bien grandis, et vivant leur vie tranquillement. rien n'est tout à fait vrai. si tes démons n'ont aucun secret pour mandy, le contraire n'est pas vrai. tu n'es pas dupe, comprenant bien que ton frère ne connaît que les histoires sombres, les histoires louches, et que malgré toutes tes prières, il ne changera pas. mais tu ne veux rien savoir. tu ne veux pas voir ton image de lui brisée à jamais. tu n'as pas la force de perdre ton frère. ni l'envie. te retrouver avec lui, c'était un cadeau que tu n'imaginais pas vouloir. au quotidien, tu sais que tu es heureuse d'être ici avec lui, et de n'avoir à traverser que quelques rues pour retrouver aussi ta jumelle. dans ton monde recréé, arrangé, parfait et faux, t'as presque la vie de famille dont tu as toujours rêvé. ta fratrie, tout simplement. la flamme de ton coeur qui ne s'éteindra jamais. que tu crois.

assise aux côtés de mandy, tu lances la bombe. presque. tu lances assez pour ne plus pouvoir reculer. il parait calme, imperturbable. tu profites de cette image de lui pour prendre une gorgée de soupe. elle est trop chaude et te brûle la gorge. mais tu fais comme si de rien n'était. tu sais bien le faire ça. remuant la cuillère qui s'entrechoque au bol, tu regardes ton frère, ne trouvant pas les mains. soudainement les mots te fuient. mais il va bien falloir les retrouver, et les dompter. "rose et lit vont se marier." prononcé d'une voix sûre, d'une voix calme. la cuillère ne bouge plus, toi non plus. tu guettes la réponse de ton frère, sa réaction. tu ne sais pas quoi ressentir. "je voulais que tu l'apprennes par moi." qui d'autre aurait pu le faire sinon toi ? tu as la sensation de pouvoir enfin souffler, que le plus dur est passé. le plus dur pour toi peut-être, pour mandy, rose ou lit, rien n'est moins sûr.

dans un monde parfait tu n'aurais pas besoin de mentir à Reina. elle serait assez forte pour supporter la réalité, ta réalité. dans un monde parfait, elle aurait les épaules assez larges pour t'entendre lui parler de ces filles que tu dévergondes et à qui tu exiges de se soumettre sans avoir peur de l'offusquer ni de l'entendre te détester. dans un monde idéal, vous pourriez tout échanger. tu n'serais pas le seul gardien de ses secrets et elle partagerait aussi les tiens. mais ce monde n'existe pas, et si tu l'fais, c'est pas parce que tu n'as pas confiance en elle mais simplement parce que tu la protèges. tu connais son parcours, tu connais ses failles, tu sais ses blessures. tu n'es pas dupe au point de la croire forte et solide. la protéger fait aussi partie de ton devoir de grand frère, comme pour Rose. Reina y est sensible depuis toujours, c'est ce qui vous donne le droit d'avoir aujourd'hui cette relation privilégiée. vivre ensemble, en paix. l'entendre parler de sa journée, lui dire combien tu es fier d'elle et lui parler de toi, juste un peu. ça peut paraître dingue mais ça te fait du bien. tu crois que dans un monde parfait, Reina pourrait bien être la seule personne capable de te rendre humain. avec Agathe, évidemment. mais quand elle t'avoue avoir quelque chose à te dire, ton sixième sens s'excite et ton estomac se tord. tu arrêtes donc de manger en même temps qu'elle pour l'écouter avec attention.
- rose et lit vont se marier. et t'es pas déçu du voyage. je voulais que tu l'apprennes par moi. tes phalanges se serrent autour de ta cuillère, tu vas pas mentir. de toutes les nouvelles que tu voulais entendre, celle-là figure au panthéon de celles que tu refusais d'admettre. t'as l'sang qui n'fait qu'un tour, le coeur qui se brise, littéralement. ta première pensée va à Rose qui trahit, par cet acte, votre famille et tous les efforts que t'as jamais fait pour les mettre à l'abri. et puis, la seconde va pour cet imbécile de Lit qui se sert d'elle pour t'atteindre. d'un calme pourtant olympien, tu reprends ton geste, portes une nouvelle bouchée à tes lèvres et reprends ton souffle. reste calme ! tu t'invectives en posant à nouveau la cuillère dans ton bol.
- merci. tu réponds à ta soeur, sans la quitter des yeux. je vais le brûler vif, tu penses à l'égard de Lit. la colère ne se voit pas mais elle t'envahit, tout doucement. avec sarcasmes, tout de même, tu t'entends enchaîner : j'espère être invité à la cérémonie. menteur. tu sais déjà qu'elle n'aura jamais lieue.