perdu dans ses pensées chaotiques, malgré le vacarme insoutenant régnant au pussycat, owen rumine sur son histoire. ou plutôt sur l'absence d'histoire, car il est incapable d'aligner deux mots. le son de la musique dont les vibrations résonnent dans sa cage thoracique, les rires et les bribes de discussion des clients retiennent son attention plus que le sujet de son roman. sujet qui fait bien pitié d'ailleurs. encore une fois, il n'écrira rien de bon, il doit se faire à l'idée.

ce soir, l'inspiration s'est envolée et les mots l'ont accompagnée.

pourvu que ce ne soit pas définitif. cela fait plusieurs jours qu'il tente de se remettre à l'écriture, mais jusqu'à présent, il n'y en a rien découlé de pertinent. et ça l'enrage chaque fois un peu plus.

alors il boit pour oublier.
oublier la tristesse de voir les pages vides.
vides de mots, dépourvues de sens et d'imagination.
vides comme son âme.

il sait qu'il n'arrivera à rien en restant ici, mais le problème c'est qu'il n'a absolument pas envie d'être ailleurs. le chaos qui règne dans ce lieu, l'empêche d'entendre l'écho de ses pensées déprimantes. alors il lève la tête vers le type derrière le bar - c'est déjà la quatrième fois dans les trente dernières minutes - et il commande un refill de bourbon. "même chose. tu peux tout de suite en mettre une double dose, ça va m'éviter de t'embêter sans arrêt." du fort. toujours plus de fort. pour engourdir les émotions et les pensées négatives qui le hantent constamment. pour atténuer le sentiment de défaite qui l'étouffe, relié au fait d'être un éternel bon à rien.

toi, derrière le bar, c'est presque comme une supercherie. mais votre barmaid, ce soir, est malade et tu peux pas faire autrement que la remplacer au pied levé. c'est pas ton rôle, t'es manager - directeur - tu fais pas partie du moule et pourtant, tu t'y installes sans rechigner. Xavier ne peut pas le faire à ta place, en dehors de ce bar, il a tout un business à gérer et des milliers de problèmes à régler - comme la mort récente de sa soeur -. alors t'es là, depuis le début de la soirée. c'est une place privilégiée, tu ne t'en étais jamais rendu compte. d'ici, on voit toutes les âmes perdues. c'est drôle. d'ici, t'as une vue d'ensemble sur ce qu'il se fait de pire en matière de désillusions. ceux qui te commandent des verres sont tous plus désespérés les uns que les autres.
les autres - les plus riches - réservent une table et s'y installent pour la soirée. tu trouves ça drôle et en même temps d'un triste dont tu pourrais ne jamais te remettre. les mains sales, collantes, tu serres des verres sans trop savoir si ce que tu mets dedans est bon. mais cet homme, face à toi, ça fait déjà trois fois qu'il en redemande. j'suis pas si mauvais, non ?
- même chose. tu peux tout de suite en mettre une double dose, ça va m'éviter de t'embêter sans arrêt. à l'entendre parler et à le voir, tu t'doutes bien que c'est pas tant la qualité de tes boissons qui l'incite à recommander la même chose. tu grognes, intérieurement. t'es trop intelligent pour te retrouver là mais tu serres les dents. fichue grippe, tu souffles en affichant ton plus beau sourire. et si je m'amusais un peu ? au fond, c'est pas une mauvaise idée. ça égaillera un peu la soirée. tu remplis le verre, le fais glisser jusqu'à lui.
- j'ai un petit jeu à te proposer. tu glisses tes yeux sombres dans les siens. si tu gagnes, je t'offre ce qu'il reste de la bouteille.. tu le fais languir un instant avant d'ajouter si tu perds, je ferai de toi ce dont j'ai envie. pas la peine d'être devin pour comprendre le sous-entendu. ton orientation déviante n'est un secret pour personne. et c'est pas tant la luxure qui te fait agir comme ça, c'est plutôt le jeu en lui-même et l'excitation qu'il risque de provoquer.