Il attrape, du bout de l’index, une goutte de sueur qui glisse le long de sa nuque ; poursuit l’échappée jusqu’à la naissance de sa poitrine nue. La tête posée sur l’oreiller, le visage tourné dans sa direction, il se laisse prendre au jeu envoutant du regard gourmand de Mercedes, est prêt pour un second round lorsqu’elle le gratifie d’un sourire enjôleur. Il ne saurait dire précisément combien de nuits ils ont partagées, mais ils se fréquentent d’une manière régulière depuis quelques mois et apprécient, comme au premier jour, leur rendez-vous galants. Il l’a séduite après l’avoir vue danser sur la scène de l’Eldorado, captivé par son aura, sa gestuelle un brin provocante, ses oeillades appuyées qui lui étaient toutes destinées. Ils se sont plus en un battement de cils, ont convenu de manière implicite de prendre du bon temps sans grande promesse d’avenir, sans aucune forme d’engagement, sans impliquer les élans du palpitant. Il connait son corps par coeur, pourrait le dessiner les yeux fermés, mais il ne sait rien d’elle ; n’a jamais échangé avec la créature à l’autre bout du lit. Jusqu’ici, elle avait eu la prudence de disparaitre après l’effort, de s’engouffrer dans la nuit et vers l’inconnu après un baiser volé, un -à la prochaine- lancé avec impertinence.

Les paupières un peu lourdes, un sourire béat dessiné sur les lèvres, il attrape à tâtons sa montre sur la table de nuit. La précision des horlogers suisses lui indique qu’il est presque quatre heures du matin. Dans moins de trois heures, il faudra revêtir le costume du maire, du rédacteur, du dictateur en puissance redouté et intransigeant. « Mercedes. » Il souffle son prénom d’une voix légèrement fatiguée par l’effort, un peu haletante. Ses doigts partent à la conquête de ses mèches brunes, caressent sa joue encore brûlante d’extase. « Tu peux rester dormir, si tu veux. » C’est la toute première fois qu’il lui propose de rester jusqu’au lever du jour. Depuis que Gaenor a quitté le penthouse il a retrouvé sa liberté de mouvements, il n’a pas plus besoin de se justifier pour toutes les filles qui franchissent le seuil de sa porte d’entrée. La seule personne qui surveille, peut-être, les allées et venues, depuis l’autre coté de la rue, c’est Aurore. L’ex-épouse trahie et blessée assoiffée de vengeance et prête à tout pour le faire accuser d’un crime sordide. Son index trace lentement le contour de sa bouche parfaitement dessinée, ses rétines d’acier se perdent un moment dans le cercle noir de ses iris mordorés.

Dans l’agréable chaleur de ses draps et de ses bras, il embrasse sa peau tendre. Elle a un étrange pouvoir sur lui, il baisse la garde en sa présence, laisse son armure au placard, s’applique à être un bon amant. Ses baisers chassent les pensées néfastes, l’image délavée d’Aurore, l’ombre des dossiers qui s’empilent et lui incombent. Mercedes est pareille à une parenthèse enchantée et, ce soir, exceptionnellement, il espère qu’elle acceptera de jouer les prolongations, de partager avec lui davantage qu’une simple partie de jambes en l’air, peut-être des mots, des confidences sous l’oreiller.

tu ne comptes plus le nombre de fois où ton corps s'est retrouvé allongé au milieu de ses draps. dans ce lit plus douillet et sans aucun doute hors de prix. se taper le maire de la ville, ça n'était pas rien, sans le moindre doute. mais c'était pas vraiment ça qui t'intéressait dans l'histoire. tu crois que c'est son regard, ou peut-être son sourire, qui t'ont donné envie d'en découvrir plus. aujourd'hui, tu peux dire que tu le connais par coeur. son corps. parce que le reste, tu n'en as pas la moindre idée. il ne parle pas. jamais. et toi non plus, d'ailleurs. et c'était bien ça qu'il te fallait, justement. du bon temps. rien que du bon temps. de quoi t'évader l'espace d'un instant, de te sentir désirée. de te sentir envahir de plaisir, pour ensuite retourner à ta vie. retourner à tes problèmes. retrouver ton désir de vengeance et ce plan que tu échafaude depuis bien trop longtemps. lars, c'était ta petite sucrerie. un moment simple et agréable. un moment où tu pouvais tout oublier. ne plus être la mercedes qui a souffert, la mercedes qui a traversé des épreuves difficiles. mais juste être belle, juste être sexy, juste être désirée. il se faisait tard et tu commençais à envisager de te lever pour te rhabiller. tu ne restais jamais dormir auprès de lars. tu rentrais toujours, en promettant pourtant de le revoir tout bientôt. parce que tu en avais besoin et tu ne doutais pas un seul instant que lui aussi. mais ce soir, alors que tu n'avais pas encore quitté son lit, il prononce ton prénom, mercedes. ton regard qui se tourne doucement sur le sien, tu le distingues à peine, dans la pénombre. tu peux rester dormir, si tu veux. c'est la surprise qui se lit ensuite sur ton visage. un court silence qui s'installe alors que tu te répètes cette phrase dans ton esprit. à plusieurs reprises. il veut que tu restes, sérieusement ? vraiment ? je suis surprise lars, aurais-tu besoin d'un peu plus de compagnie en ce moment ? tu demandes, curieuse. tu ne devrais peut-être pas. rester dormir ne te donnait pas forcément la possibilité de poser des questions, de découvrir d'autres aspects de lars.