Le mariage.
Il a déjà tenté l’expérience de l’amour éternel par deux fois. Sa première épouse est décédée brutalement d’un cancer foudroyant à l’aube de ses vingt-cinq, la seconde a été répudiée pour trahison. A présent, il espère que ni la maladie, ni les tromperies, ne viendront s’interposer dans son couple. Ce troisième mariage ne doit pas avoir de date d’expiration, Daria sera sienne, dans cette vie et celle d’après. Un lourd diamant en équilibre sur ses maigres phalanges symbolise l’engagement qu’ils ont mutuellement pris, quatre ans plus tôt, sur une plage paradisiaque des Caraïbes. En échange d’une vie de princesse, d’un conte de fées des temps modernes, d’un passeport en bonne et due forme, elle lui a fait la promesse solennelle de partager ses draps, sa vie et d’être l’accessoire jalousé qu’on exhibe en société. Depuis quatre ans, ils remplissent chacun leur part du contrat. Dante la couvre de diamants, de rubis, de d’or et d’argent. Des liasses de reais, des châteaux en Espagne, rien n’est trop cher pour sa bien-aimée. Ce que Daria veut, Daria obtient. A la condition que ses désirs soient strictement matériels, superficiels, quantifiables et achetables dans un centre-commercial. La liberté, par exemple, elle a fait une croix dessus le jour où elle s’est offert une sécurité financière, un accès aux coffres illimités de Midas.
Pour autant et malgré les quelques différends susceptibles de les opposer sur le long terme, Dante met un point d’honneur à lui organiser le mariage le plus fabuleux qui soit. Rien ne saurait être trop grand, trop cher ou trop extravagant. Il veut qu’elle se souvienne de ce jour jusqu’à son dernier souffle, qu’il soit le plus beau de sa vie chaotique et mystérieuse, qu’elle tombe éperdument amoureuse de lui dans sa robe immaculée. Afin de s’assurer que tout soit parfait pour le grand jour, il multiplie les rendez-vous avec diverses sociétés d’événementiels, organisateurs de mariages, traiteurs étoilés, musiciens expérimentés. Tout son emploi du temps est bousculé, accaparé par cette parenthèse printanière future.
Aujourd’hui et après un premier entretien téléphonique qui lui a laissé une excellente impression, il a décidé de rencontrer Agathe Lefebvre en personne. Une jeune femme qui travaille à son propre-compte et ne recule pas devant l’effort. Il veut lui laisser sa chance, sait qu’un événement d’une telle ampleur pourrait faire une sacrée publicité à sa société, la propulser littéralement sur le devant de la scène. Il a besoin d’une vision jeune, originale, féminine, d’une chef d’orchestre susceptible de comprendre ce qui fait vibrer le coeur et les sens d’une adolescente de vingt-quatre ans à peine. Daria et lui n’appartiennent définitivement à la même génération et ce ne sont pas moins de trois décennies qui les opposent, en plus du reste. Contrairement à sa jeune fiancée, il ne suit pas les tendances, n’a pas la moindre idée de ce que pourrait être -un mariage de rêve- pour elle. Parmi toutes les personnes qu’il a déjà contactées, c’est le profil d’Agathe qui se rapproche le plus de sa dulcinée ; elle qui devrait tout logiquement viser le coeur de la cible.  
« Olá, Senhorita Lefevbre ! » Il l’accueille personnellement dans son manoir de St-Maurice. Une bâtisse imposante, dissimulée par-delà une épaisse forêt d’érables, à l’abri des regards indiscrets. La demeure impressionne par ses dimensions, il aurait pu se contenter d’une habitation plus modeste mais, une fois encore, il voulait en mettre plein la vue pour Daria. Deux piscines, deux cours de tennis, un terrain de basket-ball, douze chambres et autant de salles de bains ; elle n’aurait pas pu se contenter de moins. Elle avait signé pour tout cet étalage ostentatoire de fric, pour la pluie de diamants, les cascades de soie et les fontaines de champagne. Lui, à l’opposé, n’a jamais accorder une importance particulière aux signes extérieurs de richesse, les montres suisses et les voitures de sport italiennes ne lui font aucun effet. Seul l’art et la gastronomie trouvent grâce à ses yeux, pour autant il apprécie le confort matériel que lui procurent ses millards, une tranquillité d’esprit qui lui permet de sauter dans un jet en partance pour l’autre bout du monde d’un claquement de doigts. « On peut s’installer dans mon bureau. » Il suggère en la saluant d’une vigoureuse poignée de main et en l’invitant à le suivre au travers un dédale de couloirs en marbre. Le bureau de Dante est pareil à un palais des expositions. Ici et là, sont disposées de larges tables sur lesquelles trônent d’imposantes de maquettes de tours géantes, des projets de construction de grande ampleur qui sortiront de terre dans les prochains mois. Au centre, taillé dans l’ébène, son bureau majestueux mais encombré. Pourtant, entre les contrats, les feuilles volantes et les petits objets électroniques, il est parvenu à faire une place à sa future épouse. Un cadre chromé qu’il zieute continuellement, leur première photo ensemble, sur cette plage au large de São Paulo où ils se sont rencontrés pour la première fois. « Je veux que notre mariage soit parfait. » Parfait. Sans tâche, sans ombre et sans fausse note. Exactement comme cette photographie qu’il lui tend à bout de bras.